« Qu'est-ce que tu fais ? » La petite fille leva les yeux vers le garçon qui venait de lui poser cette question et le fusilla du regard. Milan l'avait aperçue depuis la fenêtre de sa chambre et elle l'avait intriguée. Elle était assise depuis un moment sur le sol et semblait dessiner ou écrire quelque chose sur le sol avec des craies. Alors, il avait quitté sa chambre et était sorti. Sans prévenir ses parents. Ceux-ci étaient de toute manière bien trop occupés pour remarquer son absence.
Mais la petite fille n'avait pas l'air contente de le voir. Elle le regardait avec méfiance. Milan lui adressa un sourire, mais elle ne lui répondait pas. Elle détourna les yeux, continuant à dessiner sur le sol. Il ne l'avait jamais vue dans le coin. Ici, tout le monde était ennuyeux. Tout le monde était trop sage, pas assez digne de son attention. Mais elle, elle semblait différente. Elle n'avait rien à voir avec ses voisins. Il était inimaginable pour eux de s'asseoir par-terre pour s'occuper, comme elle le faisait. Ils étaient au-dessus de ça. Milan aurait bien aimé savoir d'où elle venait et qui elle était. « Laisses-moi tranquille. » finit-elle par dire. Mais Milan ne s'en alla pas pour autant. Il s'empara d'une craie et commença à dessiner avec la fillette, qui ne protesta pas. « Au fait, moi c'est Milan. » La petite fille garda le silence encore quelques instants. Puis elle leva les yeux vers le garçon et haussa les épaules. « Anastasia. » Mais c'était trop long. Alors, il baptisa cette fille, qui venait d'un monde bien différent du sien, Anya.


Milan descendit les escaliers de la maison à pas rapides. Il avait maintenant douze ans. « Mon garçon, viens ici s'il te plait ! » Il leva les yeux au ciel et se rebroussa chemin pour aller dans la salle de séjour, où ses deux parents étaient installés sur le canapés. « Où comptes-tu aller comme cela ? » Il adressa un sourire à son père. Il savait que ses parents n'aimaient pas le voir traîner avec Anya. Ce n'était pas convenable pour un garçon de la haute société disaient-ils. Ce n'était pas bon pour la réputation de la famille, la seule chose à laquelle ils s'intéressaient sans doute vraiment. Un garçon issu de l'aristocratie n'a rien à faire avec quelqu'un issus d'une classe située au bas de l'échelle sociale. « Ludmilla m'a dit qu'elle m'aiderait à réviser mes maths aujourd'hui. » La fille de la voisine, de deux ans son aînée. Celle chez qui ses parents l'envoyaient lorsqu'il avait des difficultés à l'école.
Son père le fixait d'un air soupçonneux, avant de se replonger dans la lecture de son journal. Ca voulait dire qu'il était libre d'y aller. Milan se retourna et quitta sa maison. Il n'eut pas fait 10mètres qu'il la vit, assise sur un banc. C'était leur coin de rendez-vous. Anya ne s'approchait pas plus près de la maison des Černý, elles savaient que ceux-ci ne la portaient pas dans son coeur. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle lui sourit. Depuis ce jour-là où ils avaient joué ensemble, les deux enfants s'étaient régulièrement revus, jusqu'à se lier d'amitié. Anya, elle était géniale. Ils étaient amis. Plus que ça, ils étaient inséparables. Et ce n'étais pas parce qu'elle était pauvre que Milan arrêterait de la fréquenter. Des amis comme ça, on en trouvait pas tous les jours.


« Jaroslav ! Tu m'expliques ?! » Jaroslav. Le prénom que ses parents utilisaient lorsqu'ils étaient énervés. Milan leva les yeux au ciel et sorti une cigarette de son paquet pour la fourrer dans sa bouche. Son père le regardait, d'un air ahuri. « Jaroslav ! » répéta-t-il. Il était chiant. Il ne voyait pas qu'il dérangeait ? Milan en avait assez de sa famille. Il devait sans arrêt passer pour un garçon sage et sans histoire, on le forçait à être ce qu'il n'était pas. Et ça le gavait. Il se tourna vers son père et lui envoya de la fumée au visage. « Quoi ? » Son père bouillait de rage, Milan le voyait bien. Son visage avait pris une teinte violacé. Il essayait de se contenir mais le garçon voyait bien qu'il était à deux doigts de craquer. Et il se retint de sourire : il aimait faire péter un câble à ses parents. Il était même très doué en la matière. « Ton professeur a appelé ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?! » S'il faisait référence à l'événement de lundi passé, ça avait créé une sacré pagaille et Milan n'en était pas peu fier. Ses parents avaient eu la bonne idée de le mettre dans un lycée privé, réservé aux bourges de son quartier. Des gens avec lesquels il avait du mal à s'entendre; ils étaient trop coincés et ne savaoent pas s'amuser. Alors, il s'était improvisé animateur. « J'ai fumé un pétard avant d'aller au lycée. » Le visage du paternel continuait à prendre de la couleur. « Tu... quoi ? » « J'ai fumé un pétard. Tu sais ce que c'est tout de même, non ? Ou tu veux que je te montre ? » « C'est à cause de cette fille, c'est ça ? Combien de fois t'ai-je dis d'arrêter de la fréquenter ?! » « Anya n'y est pour rien ! » Enfin, elle n'était pas coupable à cent pour cent. Ils étaient les deux fautifs ; pas un pour rattraper l'autre, ils s'entraînaient. Milan sans Anya, ça n'existait pas. C'était inconcevable. Ils passaient énormément de temps ensemble ; Anya était devenue sa meilleure amie, celle à laquelle il racontait tout. Il se surprenait même récemment à lui raconter ses aventures sexuelles lorsque cela valait le coup, tout comme elle lui parlait d'elle et de son copain. Ils se racontaient tout. « MILAN JAROSLAV ČERNÝ ! » Là, son père était vraiment énervé, prêt à péter un plomb. Milan n'y prêtait même plus attention. Il avait l'habitude. Et puis, sa situation ne pouvait pas être pire : il vivait déjà un enfer.
Pourtant un jour, alors qu'il rentrait du lycée, il eut la surprise de découvrir ses affaires devant la porte de la maison. Avec un mot, dans lequel ses parents lui disaient à quel point il était décevant et qu'ils n'en pouvaient plus de lui. Qu'il ruinait la réputation de la famille, également. Qu'ils ne voulaient plus de lui, en somme. À dix-sept ans, les parents de Milan l'avaient mis à la porte.


« Qu'est-ce que tu fous là ? » Anya le dévisageait avec étonnement; il n'était pas rare qu'il vienne squatter chez elle, mais généralement il la prévenait avant. Lorsqu'il venait à l'improviste, ce n'était jamais bon signe. Et puis, le regard tomba sur la valise de l'adolescent. « Oh... » « Comme tu dis. Les vieux m'ont foutu dehors. » Anya ne semblait pas savoir quoi répondre. Elle gardait le silence. Milan savait bien que la situation de la famille ne lui permettrait pas de rester ici longtemps, mais il avait besoin d'un simple coup de main. Anya leva les yeux au ciel : « Bon. Juste ce soir. Après, tu te débrouilles. » Milan acquiesça d'un signe de tête et la demoiselle lui sourit. « Qu'est-ce que tu ferais sans moi ? » Pas grand chose. C'était toujours elle qui l'aidait lorsqu'il avait un problème et de même, il lui renvoyait l’ascenseur lorsqu'elle en avait besoin. « Et qu'est-ce que toi, tu ferais sans moi, hein ? » Elle haussa les épaules : « Je serais sans doute au fond du trou à l'heure qu'il est. »
Elle l'invita à entrer dans l'appartement et ils allèrent dans sa chambre. Milan s'affala sur le lit. Il avait du mal à croire que ce qui lui arrivait était bien réel. Ses parents ne voulaient plus de lui. Il était à la rue. Il espérait encore que ce soit un mauvais cauchemar et que, lorsqu'il se réveillerait, il serait bien au chaud dans son lit. Pas que ça le gêne d'être ici - il avait dormi plus d'une fois chez son amie, sa mère ayant finalement compris qu'il ne se passerait jamais rien entre eux - mais il se demandait comme il allait s'en sortir.
Anya quitta la pièce et revint quelques minutes plus tard, une bouteille d'alcool entre les mains qu'elle tendit à l'adolescent. « Quand rien ne va, rien de mieux que la vodka ! » C'était devenu leur phrase culte. Chaque fois que l'un des deux n'allait pas bien, ils ouvraient une bouteille de vodka et buvaient pour oublier leurs soucis. « À toi l'honneur. » Milan bu une longue gorgée, puis passa la bouteille à son amie. La bouteille descendit rapidement et puis, Anya fila en chercher une deuxième qu'ils entamèrent rapidement. « J'arrive toujours pas à y croire. » « Fallait pas faire le con. » La demoiselle se leva et alla s'asseoir face à son ami. Milan l'observa un moment. Il savait qu'elle avait raison, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui. Mais il ne l'avouerait pas. Sa fierté l'en empêchait. L'alcool ne suffisait pas ; il pensait toujours à cette histoire. « Putain. Faut que je baise. » Peut être que comme ça, il penserait à quelque chose d'autre. Anya éclata de rire : « J'veux pas te retrouver à poil dans mon lit avec une inconnue. » Elle le força à se coucher. « Dors. Demain y a une fête d'enfer ; on ira là-bas et ça ira mieux. » Mais Milan avait d'autres projets pour la soirée. Il attira son amie contre lui et l'embrassa. À sa grande surprise, elle ne le repoussait pas, elle répondait au baiser. Et le lendemain matin, lorsqu'il se réveillait, il était nu, dans le lit de sa meilleure amie, elle aussi nue à côté de lui.

UNDERCO.

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